« Décodification : processus qui consiste à oeuvrer en faveur de l’inaccessibilité et de
l’absurdité du droit ». Cette définition de l’oeuvre réalisée par la majorité actuelle, censée
« simplifier à droit constant » le code du travail, n’a pas pour auteur un responsable de
l’opposition, mais un Professeur de droit1.
Précisons d’abord ce qu’est, dans notre droit, une codification. Le Conseil d’Etat rappelait le
26 novembre 2001, reprenant les termes du Conseil constitutionnel, que « le gouvernement
ne saurait, à l’occasion de la codification autorisée par la loi, apporter des modifications de
fond aux dispositions législatives existantes, et qu’il n’est fait exception à ce principe que s’il
s’agit d’assurer le respect de la hiérarchie des normes ou de procéder à l’harmonisation du
droit, cette dernière devant se borner à remédier aux incompatibilités pouvant apparaître
entre les dispositions soumises à la codification ». Une recodification ne peut donc être
réalisée qu’à droit constant, pour rendre la législation plus lisible et plus accessible.
Qu'en est-il en l'espèce ? Incontestablement, la recodification proposée n'a pas été réalisée
à droit constant. De nombreuses dispositions du code initial ont été évincées du nouveau
code, ou réduites dans leur champ d'application. Plusieurs prérogatives de l'inspection du
travail et de la médecine du travail ont disparu, ainsi que des obligations pesant sur
l'employeur d'information des salariés sur le statut conventionnel applicable ou les horaires
de travail, ou encore des prérogatives des représentants du personnel en matière
d'aménagement du temps de travail. Oublis ou manoeuvres délibérées, ces régressions
sociales ont pour certaines été corrigées dans le nouveau code à l’issue du débat
parlementaire grâce aux amendements déposés par la gauche au Sénat et à l’Assemblée
nationale. Il en demeure toutefois de nombreuses, qui heurtent le principe même de la
codification à droit constant.
Ces reculs « objectifs » ne sont pas les plus graves, et comme souvent en droit, le diable se
cache dans les détails. Très insidieusement, le nouveau texte remet en cause à maintes
reprises des éléments fondamentaux du code du travail sans évincer purement et
simplement une règle de droit, rendant beaucoup plus délicate la caractérisation d'une
recodification à « droit variant ».
Quelques exemples saillants :
Plusieurs catégories de salariés ont été exclues du code du travail. Certes, les règles de
droit qui les concernent n'ont pas disparu, mais ont été externalisées vers d'autres codes :
les salariés agricoles, les assistants maternels, les salariés du transport, des mines, de
l'éducation, les marins etc. Or on sait que l'élaboration du droit du travail ces cent trente
dernières années a d'abord consisté à unifier le statut des travailleurs subordonnés, de
manière à forger une condition salariale protectrice et égalitaire. A la suite d'autres offensives
de la droite ces dernières années tendant à soustraire des catégories de salariés au code du
travail, cette externalisation ne peut être jugée fortuite. Le détricotage, demain, des garanties
sociales de ces travailleurs sera d'autant plus aisé qu'il n'impliquera pas de toucher au code
du travail.
Dans l'ancien code, un article prévoyait que toute rupture du contrat de travail pour des
raisons économiques répondait aux dispositions du code sur les licenciements économiques.
Cela revenait à dire que même si la fin du contrat prenait la forme d'une rupture amiable,
l'employeur devait respecter la procédure du licenciement économique, et notamment
consulter le comité d'entreprise. En d'autres termes, l'employeur ne pouvait échapper à ces
dispositions protectrices des salariés au motif qu'il avait obtenu l'accord du salarié, accord
1
Emmanuel DOCKÈS, « La décodification du code du travail » – Revue « Droit social », avril 2007
dont on sait dans quelles conditions il peut être obtenu. Le MEDEF combat depuis des
années cette disposition, qui a disparu du nouveau code, laissant la porte ouverte à un
contournement banalisé du droit du licenciement économique dès qu'une rupture relève d'un
accord amiable, étant observé que le gouvernement prévoit justement de faire plus de place
à... la rupture amiable des contrats.
Avant la recodification, une disposition prévoyait qu’après tout licenciement économique, un
employeur, s’il embauche à nouveau pendant une période donnée, a l’obligation de proposer
le poste en priorité à la personne licenciée. Cette priorité de réembauchage a été introduite
dans le nouveau code, mais dans une section qui ne concerne que les licenciements de plus
de dix salariés dans une période de trente jours. Ainsi, tous les salariés victimes de petits
licenciements économiques risquent désormais d’être privés de ce droit. De même, les
articles sur la rémunération et ceux sur le temps de travail ont été réunis dans une même
partie. Où la philosophie du « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy pénètre
même le code du travail… Quant aux dispositions sur le travail le dimanche, elles sont
réunies sous le nouveau vocable « besoins du public », en écho également au projet
gouvernemental d’extension des autorisations du travail dominical.
Enfin, environ 500 articles de l’ancien code ont purement et simplement disparu de la partie
législative du nouveau, au motif qu’ils relèveraient du pouvoir réglementaire. Dès lors, des
dispositions aussi importantes que le montant de l’indemnité de préavis due en cas de
licenciement pourront, grâce à cette manoeuvre, être modifiées à l’avenir par simple décret,
sans débat parlementaire.
Ce travail de codification, supposé neutre, a en réalité pour principal objet d’adapter
l’architecture et la philosophie du code du travail au projet politique de l’UMP. Censé être
réalisé à droit constant, il supprime des dispositions, met en cause l’unité du droit du travail,
déclasse et fragilise des garanties sociales. Destiné en principe à clarifier le droit et à en
faciliter la compréhension par nos concitoyens, il se traduit par une inflation du nombre
d’articles et suit un ordonnancement incompréhensible qui en fera un outil exclusivement
réservé aux juristes spécialisés en droit social.
Le texte de ce nouveau code a pour support une ordonnance datant du 12 mars 2007. La
précipitation avec laquelle le gouvernement a imposé le débat parlementaire sur la loi
nécessaire à la transposition de cette ordonnance était exclusivement destinée à courtcircuiter
le Conseil d’Etat, appelé à se prononcer sur la légalité du texte. Le vote définitif de
la loi de transposition rendant caduc le recours devant le Conseil d’Etat, seul le Conseil
constitutionnel sera désormais amené à apprécier la conformité de cette bizarrerie juridique
aux principes constitutionnels. Les arguments développés par les auteurs de la saisine, ici
sommairement exposés, établissent clairement la non-conformité du texte à la définition
donnée avec constance par le Conseil constitutionnel à la codification.
De l’aveu même de l’expert qui a coordonné ce travail, tel qu’exprimé en première page du
texte, « plusieurs mois, voire plusieurs années seront nécessaires pour que ce nouveau
code révèle tous ses secrets ». Du « droit constant » qui cache des secrets, la formule
relèverait d’une mauvaise plaisanterie si elle ne concernait pas le quotidien de 22 millions de
salariés.
Alain VIDALIES
Député socialiste des Landes
Secrétaire national du Parti socialiste aux Entreprises
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