par Henri Emmanuelli et Benoît Hamon :: Positions :: Tirer les leçons d’une consultation
électorale est un devoir primordial pour une formation politique, a
fortiori pour le Parti socialiste qui a été l’acteur majeur de la
victoire de la gauche dimanche 16 mars. La première leçon est simple. Elle se
lit dans la sécheresse des résultats : la droite a subi une déroute
lors de ces élections municipales. Les 58 villes de plus de 20 000
habitants conquises par la gauche traduisent l’ampleur de cette
défaite. Il peut sembler banal de l’affirmer mais cela est nécessaire
tant l’impudence, voire l’autisme des ministres et des dirigeants de
l’UMP sur les plateaux de télévision confinait au déni de réalité. Le
nombre de villes conquises donne une dimension incontestablement
nationale à cette défaite. La seconde leçon concerne le "rôle
central" que prétendait exercer le MoDem au centre de notre échiquier
politique. A force de vouloir être partout à la fois, le MoDem n’a fini
nulle part. La plupart du temps il est resté dans le giron de ses
alliés traditionnels de droite, sans lesquels il n’aurait pas conservé
le peu de municipalités dont les électrices et les électeurs lui
concèdent encore la gestion. En entendant François Bayrou, au soir du
premier tour, appeler en vain les électeurs palois à faire barrage aux
"socialo-communistes", il nous revenait en mémoire cette définition que
François Mitterrand donnait du centre dont il affirmait, non sans
humour, qu’il n’était "ni de gauche ni de gauche". A CONTRESENS DE L’HISTOIRE Nous serions donc bien avisés de
stopper rapidement une inutile et grotesque "danse du centre" et de
laisser François Bayrou à sa stratégie électorale narcissique. Le
scrutin municipal a eu cette vertu de démontrer l’absence d’efficacité
électorale de l’alliance avec le MoDem, ce qui ne signifie pas qu’il
faille renoncer à parler à ses électeurs. Si le MoDem décide de
rejoindre le camp de la gauche et ses valeurs progressistes, il sera le
bienvenu. Cette décision lui appartient, mais n’appartient qu’à lui. En
attendant, nous avons mieux à faire. Ce que nous avons à faire, et cela sera
notre troisième et dernière leçon provisoire, est de constater le
glissement à gauche de notre électorat. Partout où la gauche était
rassemblée, elle réalise de très bons scores. Quand elle était divisée
de notre fait, alors communistes, écologistes ou extrême gauche
réalisaient des scores qu’il serait absurde d’ignorer. Finalement nous
sommes dans une figure classique de notre vie politique accompagnée
d’une donnée nouvelle. La figure classique est celle de la
bipolarisation entre la gauche et la droite. Une bipolarisation dont
nous n’hésitons pas à affirmer qu’elle est saine pour notre démocratie,
qui a besoin d’options différenciées et de confrontations d’idées et de
projets. La nouveauté est celle d’une
radicalisation d’une partie de notre électorat qui s’explique aisément
par l’inquiétude croissante devant la dégradation des conditions de vie
des classes populaires et, phénomène nouveau, des classes moyennes. Les
socialistes risqueraient de passer à côté de l’essentiel s’ils ne
tiraient pas rapidement les conséquences qui s’imposent de ce message
adressé par les Françaises et les Français. Un message qui risque de
s’amplifier tant les perspectives économiques mondiales sont
inquiétantes. La crise de très grande ampleur que traverse le système
financier international, et qui menace désormais d’entraîner l’économie
mondiale dans la spirale de la récession, marque assurément la fin des
illusions de la globalisation financière et de la libéralisation
effrénée du commerce international. Alors qu’aux Etats-Unis, en Angleterre
et, demain, en France et en Europe les dirigeants seront soumis à la
nécessité de prendre des mesures radicales de sauvetage du système
bancaire et de se tourner vers des formes nouvelles de régulation
publique de l’économie, il serait paradoxal que la gauche française, en
quête d’une illusoire modernité, "mue" à contresens de l’histoire. Nous assistons à la fin de la
domination culturelle du libéralisme et du capitalisme financier. Cela
constitue une opportunité sans précédent de faire avancer nos idées
progressistes. C’est ce à quoi nous invitons le Parti socialiste et ce
à quoi nous consacrerons notre énergie dans les semaines et les mois à
venir, avec toutes celles et tous ceux qui le souhaitent.
Modem : la baudruche rend son dernier souffle
C’est en martelant qu’il était le seul capable de battre Sarkozy au 2e tour que les médias avaient, en 2007, gonflé le score de Bayrou pour lui permettre d’atteindre 18,57 % au 1er tour de la présidentielle.
Une baudruche gonflée par les médias
L’importance du Modem dans les débats médiatiques entre les deux tours des municipales était inversement proportionnelle à ses résultats électoraux : 3,22% de voix au 1er tour.
Dans aucune municipalité, le Modem n’a été l’arbitre annoncé par les médias. Loin de se gagner au centre, les municipales comme les cantonales se sont gagnées à droite et (surtout) à gauche.
L’autonomie du Modem était, elle aussi, un mythe médiatique. Toutes les villes où la tête de liste Modem l’a emporté sont des listes Modem-UMP, Modem-majorité présidentielle ou Modem-Nouveau Centre. Seule, la mise sous perfusion opérée par les droitiers du PS (Ségolène Royal, Vincent Peillon, François Rebsamen…) avait, jusque-là, empêché le Modem de sombrer dans un coma dépassé.
Une baudruche petit à petit dégonflée
18,57% au 1er tour de la Présidentielle ; 7,71% aux législatives ; 3,22% au 1er tour des Municipales ; la fuite de la majorité des 118 députés de l’UDF pour n’en laisser que trois au Modem ; le maintien au sénat d’un groupe parlementaire commun au Modem et au Nouveau Centre, le lâchage de Jean-Marie Cavada : le chemin de croix de ces dignes représentants de la Démocratie Chrétienne aura été particulièrement amer.
Jusqu’à la passion finale : la défaite de Bayrou à Pau, battu par la liste d’union de la gauche. Une défaite qui ne laisse plus le moindre espace politique à Bayrou et à son parti.
Le député européen du Modem, Thierry Cornillet n’y croit d’ailleurs plus : “La stratégie de François Bayrou est suicidaire : il sacrifie ses élus pour une chimère présidentielle”. Le sénateur Jean Arthuis estime que les municipales ont montré “l’échec de la stratégie d’autonomie” du Modem, et vend la mèche en soulignant que “les seules élections de membres du Modem sont le fruit d’alliances avec des formations de droite”.
Toujours près de l’assiette au beurre
Les Radicaux, avant la seconde guerre mondiale, étaient réputés « rouges à l’extérieur, blancs à l’intérieur et toujours près de l’assiette au beurre ». Pour le Modem, il serait difficile de lui trouver la plus petite affinité avec le rouge mais impossible de nier sa proximité avec l’assiette au beurre.
Partout où il espérait glaner quelques places, le Modem s’est vendu au plus offrant, à gauche et surtout à droite. Ainsi, à Colombes, le candidat du Modem expliquait-il, sans la moindre gêne les principes qui l’avaient guidé à fusionner avec la droite : « Côté socialiste, il n’y avait pas d’offre sur la table » (Libération du 12/03/2008)
Le soi-disant « centre » a montré sa totale inconsistance. Il s’est aligné soit sur la droite (le plus fréquent), soit sur la gauche. A l’unique exception de Pau, il n’a jamais existé de façon autonome au cours des dernières élections municipales. La vie politique, en France, est polarisée entre la droite et la gauche, le « centre » n’existe pas. La preuve vient, une nouvelle fois, d’en être apportée.
Ce n’est pas au « centre » que se sont gagnées les élections municipales et cantonales
Contrairement à ce que serinaient les médias, ce n’est pas au « centre » mais à droite et surtout à gauche que les municipales comme les cantonales se sont gagnées.
La gauche a gagné sans le « centre » et bien souvent contre lui : à Rouen, Alençon, Laval, Rodez. A Paris, à Lyon, à Toulouse, la gauche n’a pas eu besoin du Modem. C’est l’union de la gauche qui a entraîné la dynamique la plus efficace pour battre la droite : à Caen (56,26%), Strasbourg (58,33 %), Amiens (56,21%), Colombes (53,6 %), Reims (56,07 %). C’est, comme le soulignait Martine Lignères-Cassou après sa victoire à Pau, « la clarté et la transparence » qui ont été nos armes les plus efficaces.
L’utilité (autre qu’idéologique) pour le PS de s’allier au Modem à Dijon, à Lille ou à Montpellier n’a toujours rien d’évidente. La victoire était déjà largement acquise dans ces trois villes, sans cette compromission avec ce morceau de la droite qu’est le Modem. A Roubaix, d’ailleurs, un taux d’abstention record (60,5% d’abstention au 1er tour et 59,82 % au second tour) a marqué le mécontentement des électeurs de gauche confronté à cette alliance.
A Marseille, l’alliance avec le Modem et ses 5,54 % a découragé la mobilisation des quartiers les plus populaires. Elle a aussi porté préjudice au report des voix des électeurs de la LCR, notamment dans l’arrondissement décisif (le 3e) où le modem avait obtenu 6,3% des voix mais la LCR, 5,77 %.
La droite du PS voulait utiliser le Modem comme levier pour transformer le Parti Socialiste
Le but de la droite du PS était d’éviter le débat de fond sur le programme et de focaliser le débat sur l’alliance avec le Modem. Les conditions mises par le Modem à une telle alliance, auraient, ensuite, permis de justifier l’alignement du programme du PS sur celui du Modem. La droite du PS aura maintenant plus de difficulté à refuser d’assumer le débat sur le programme et sur son objectif de « blairisation » du Parti Socialiste. Il lui sera plus difficile de refuser de discuter, à visage découvert, du partage des richesses, du pouvoir d’achat, des heures supplémentaires, des retraites, de l’assurance-maladie, de l’Europe libérale, de la libre circulation des capitaux…
La droite du PS aura d’autant plus de difficulté à éviter le débat de fond que la raison essentielle de la défaite de la gauche à l’élection présidentielle ne peut plus être niée : l’incapacité de Ségolène Royal à apporter une réponse convaincante à la question du pouvoir d’achat. Cette question est, en effet, au cœur des préoccupations des électeurs et c’est l’échec de Sarkozy, le président « du pouvoir d’achat », à tenir ses engagements qui lui a valu la double gifle retentissante des municipales et des cantonales.
Il lui faudra, également, discuter sérieusement des alliances et essayer de démontrer en quoi l’union de la gauche qui vient encore de faire ses preuves aux municipales et aux cantonales serait dépassée. Alors même que les résultats de la LCR (plus de 5 % dans 100 villes et plus de 10 % dans 30 villes) laisse peu de doute sur la radicalisation à gauche actuellement à l’œuvre.
La personnalisation du débat
Avec l’aide des médias, il reste à la droite du Parti Socialiste une dernière carte pour se protéger d’un débat de fond : réduire le débat à un affrontement de personnes et faire du prochain congrès du PS un nouveau congrès de Rennes où s’affronteraient les écuries présidentielles aux dépens des projets politiques. Ségolène Royal a commencé à jouer cette carte. Elle ne sera pas la seule, les grandes manœuvres de personnalisation du prochain congrès vont s’amplifier.
La droite du Parti Socialiste fera tout pour ramener le débat d’idées à un débat de personnes tout en jurant, la main sur le cœur, qu’il faut un nouveau projet socialiste « cohérent, moderne, attractif ». Elle sait pertinemment que dans un véritable débat d’idées, elle serait rapidement complètement à contre-courant de la grande majorité des adhérents.
La gauche du Parti Socialiste n’a pas d’autre choix que de s’unir pour imposer un véritable débat d’idées, un véritable débat sur le programme qui permettrait au Parti Socialiste de répondre aux exigences du salariat qui se sont manifestées avec force aux élections municipales et cantonales mais auxquelles la direction actuelle du PS n’apporte pas le plus petit début de réponse.
Jean-Jacques Chavigné
http://www.democratie-socialisme.org/article.php3?id_article=1501&titre=Modem-la-baudruche-rend-son
Bravo pour ta victoire.
Agauche.
Rédigé par : Agauche | 14 avril 2008 à 13:27